Les dirigeants se laissent-ils vraiment former ? Maxime Morand. HR Today nov-déc. 2015 rubrique Opinions.

Les dirigeants, se laissent-ils former, vraiment ?

Vous connaissez des personnes qui occupent des positions clés dans une organisation. D’une certaine façon, elles sont arrivées au sommet. Elles exercent un pouvoir certain et sont responsables de grandes unités et mènent avec succès des projets significatifs. Pour sûr, leur parcours s’articule autour de formations impressionnantes, notamment universitaires. Les Masters ne sont pas rares et des participations à des sessions haut de gamme, des programmes pour exécutifs, font partie de leurs bagages.

Le début de la quarantaine s’éloigne et le temps consacré à mettre à jour ses pratiques de leadership, à satisfaire ses appétits pour l’innovation et à confronter ses idées à d’autres perspectives, finit par se réduire à la portion congrue. La bibliothèque mentale de ces dirigeants est remplie de notes, mais y-a-t-il encore de la place pour les nouveaux « livres », pour des expériences qui challengent leurs pratiques ? Ces personnes, d’une certaine façon, ont réussi leur parcours professionnel. Leur situation démontre à leurs yeux et aux regards de tous qu’elles sont au sommet de leur performance. Est-il donc encore besoin d’illuminer voire de modifier les couleurs de leur « aura » ?

Un cours, que j’adorais animer, m’a mis la puce à l’oreille. Grâce à une méthode élaborée par des avocats californiens et des machines créées pour atteindre les objectifs, il était possible de permettre à des cadres de doubler leur vitesse de lecture tout en augmentant leur taux de mémorisation de 10 à 20 pour cent. Un examen au début du cours donnait la situation de départ. Des contrôles, après une journée puis deux journées de cours intensifs, montraient la progression. Trois mois plus tard environ, un contrôle final permettait d’attester l’acquisition du doublement de la vitesse de lecture et de la conquête, malgré cette rapidité, d’une mémoire confortée voire bien améliorée. Ce cours, je l’ai animé trois fois par année pendant trois années consécutives. Les cadres intermédiaires avaient des résultats probants et très satisfaisants. Pourtant, dans les sessions auxquelles participaient des dirigeants occupant des fonctions élevées, les résultats étaient très moyens. La vitesse de lecture augmentait à peine de la moitié, et le taux de mémorisation stagnait, voire était légèrement inférieur. Ma déception d’animateur m’a incité à davantage d’observation. Les dirigeants ne se plaçaient pas en situation d’apprentissage, mais faisaient de la compétition entre eux. Ils voulaient donner la preuve qu’ils étaient meilleurs que leurs collègues ou, pour le moins, qu’ils se situaient dans la bonne moyenne. La compétition annihilait la formation.

Aussi, je constate que les grands dirigeants participent à des conférences, à des colloques, certes, mais se laissent-ils vraiment toucher, chambouler et transformer par de nouvelles perspectives ? Il y a de notables exceptions, mais la tendance globale révèle que les dirigeants viennent conforter leurs vues et leurs pratiques. Ils se mesurent à leurs pairs ou à des figures de références et ne se mettent pas en creux, en besoin d’apprendre.

Vous êtes responsable du management développement et de formation, directeur des humains en ressources et ou gestionnaire des talents, que faire, à part leur glisser le présent article ? ☺. Attendre l’inattendue et douloureuse rupture de carrière pour une prise de conscience obligée ? Un peu irresponsable ! Mettre au point un rituel régulier de remise en forme, comme une sorte de check up intellectuello-managérial ? Fort possible, mais un peu contraignant et obligatoire. Offrir des rencontres privilégiées et très confidentielles avec des leaders formateurs de proximité ? Conseil avisé, encore faut-il que le parcours ne soit pas trop balisé par des approches-produits standard et que l’interlocuteur soit un partenaire reconnu comme tel.
Toutes ces approches ont leur valeur surtout si la réalité des affaires humaines vous permet d’ouvrir les yeux du dirigeant : la réalité du monde des humains et leurs interactions réussies ou ratées vous permet de l’inviter à jouer un ping pong mental fructueux avec un(e) partenaire, ironique, décalé(e), tendre et impitoyable. Seule la réalité humaine implacable va déchirer la superbe position du dirigeant qui n’entre plus en form’action. A vous de la lui mettre sous le nez !

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