La leçon de leadership du pape François ! Maxime Morand Bilan.

Pour être honnête, ce n’est pas lui que j’espérais. J’attendais le nom de Christophe, cardinal Schönborn, archevêque de Vienne, mon vieil ami rencontré lorsqu’il était jeune professeur de théologie à l’Université de Fribourg. Il a 68 ans et le regard clair de celui qui ne dit jamais de mal de personne : un vrai critère de haute élégance dans la gouvernance.

Habemus… le frêle cardinal Tauran, annonce : Bergoglio ! Tangible flottement dans la foule, la RTS, comme tous les autres commentateurs, les Darius Rochebin du genre, en grands prêtres des média, sont médusés, cherchant, avec leurs invités décontenancés, leurs fiches sur le radeau du direct qui semble prendre l’eau.

Interloqué, je fébrile sur Youtube afin de trouver à quoi ressemble ce nouveau pape. Argentin, jésuite, ayant quasi l’âge de se désabonner au Journal Tintin. Un look sévère, souriant et implacable. C’est quoi ce gag ? Me suis-je demandé à voix haute. Epouse et fils ados tentent alors de quitter, avec des commentaires narquois, le culte télévisuel en cours, je persiste à les inviter à participer à ce moment historique. Ça grogne mais nous attendons l’apparition de l’élu au balcon de la basilique Saint-Pierre.  Je marmonne dans mon for intérieur que les pouvoirs absolus sont souvent des gérontocraties : les papes comme les soviets et autres dictateurs sont souvent des anciens, peut-être respectables, mais des anciens quand même.

Pas terrible, le nouveau vieux n’a pas l’air pape du tout ! Le blanc de la soutane ne lui va pas, son gris de peau et sa calotte blanche mal ajustée lui donne un petit air mal à gauche. Surprise : il ne porte pas la grande étole rouge et dorée signe solennel de la puissance du pape. La croix pectorale est quelconque. Il est, de mon point-de-vue d’initié, quasi nu, presque indécent.  Et le François en question, se met à saluer les fidèles présents en leur disant qu’il est l’évêque de Rome. Il tient à dire son lien avec Benoît XVI, en le désignant comme évêque émérite de Rome.  De dieu de dieu : je suis bluffé : enfin un pape qui dit la véritable position théologique de sa fonction.  Il se tourne même vers le cardinal vicaire, en charge de Rome, pour dire qu’il allait, avec lui, être celui qui veille sur la communauté des hommes et des femmes qui vivent à Rome. Je suis sur le cul. Comme théologien défroqué de bas étage, je suis, en fait, aux anges : enfin un gars qui connaît l’humilité de son immense rôle. Ce n’est pas fini. Il est sensé donner sa bénédiction solennelle qui nous  procure une indulgence dite plénière ! Bref, sans bulles, François se soumet au protocole, visiblement enrôlé dans le déroulement prévu. Que nenni point !

Le François se penche d’abord vers les personnes accourues sur la place Saint-Pierre : avant que je vous donne ma bénédiction, s’il vous plaît, priez pour moi !  J’hallucine : celui qui, dans la tradition romaine, possède la toute puissance, se penche devant le peuple romain-catholique et touristique pour quémander l’énergie de la bénédiction qu’il a à donner. J’enrage de voir que les journalistes sont incapables de mettre en exergue l’inouï du geste.

La bénédiction en latin est terminée. Normalement, après les applaudissements, il est censé rentrer dans ses appartements. Mais non : il fait ré –ouvrir le micro pour dire aux romains, de son diocèse, et non pas au monde entier, qu’il leur souhaitait une bonne soirée, un bon souper.

Qui est ce François qui ne veut pas jouer au pape ? Quelle manière d’être pape veut-il affirmer ? Il déambule sans limousine jusqu’à la basilique jésuite de Sainte Marie Majeure. Il paye sa pension et il célèbre la messe à la chapelle Sainte Anne en faisant le trottoir à la sortie pour saluer les fidèles. Il ne veut pas des pantoufles rouges en peau de chèvre, on lui voit les pantalons gris et les souliers noirs sous la soutane blanche et sa démarche n’est guère solennelle. Il a un humour « mystique mi-raisin » et rit de ses propres propos très à-propos.

Et si ce style simple, direct, sans jeux de rôle, sans carrière accomplie, était la seule manière de scier toutes les intrigues de cour de la curie romaine ? Pauvreté franciscaine, poésie naturelle et apprivoisement des loups, comme le François d’Assise, par la voix douce, humble et sûre d’un homme fondé dans son existence et n’ayant cure de son rôle, de sa fonction. Une vraie leçon de leadership. La simplicité explicite du jésuite ascétique, orienté vers la préférence du service aux pauvres, conjuguée avec la radicalité franciscaine de la bonne nature tendre, deviennent non-négociables et imparables. La tradition impériale romano-centriste n’a aucune chance contre l’arme sans armes du Leader François. Qui pourrait s’opposer aux fondements même de la bonne nouvelle de Jésus-Christ ?

Me revient en mémoire vive, un chapitre d’un livre lumineux d’Eugen Drewermann, Fonctionnaires de Dieu. (Il est psychanalyste et professeur de théologie dégommé par Joseph Ratzinger). Chapitre I : pourquoi quelqu’un veut-il devenir chef ? Parce qu’il vaut mieux occuper un rôle. Celui-ci permet au chef d’économiser, dans son rôle, l’angoisse d’exister par soi-même. Je simplifie. Un leader, est-ce une personne qui occupe parfaitement son rôle, en remplissant tous les critères du poste décrit ? A-t-il passé à travers toutes les évaluations supposées garantir l’occupation adéquate de la  fonction ? Avec le François Leader, nous sommes peut-être à devoir dessiner un autre style : la pauvreté et la simplicité dépouille la monstrance du « power is theater », le rôle parfait et attendu est démonté pour laisser surgir l’inattendu d’un existant. Un homme, une femme, tellement ancré(e) dans son être qu’il ou qu’elle se donne le pouvoir indiscutable d’ex-ister, de prendre appui dans son être pour aller vers l’autre, vers tous les autres, sans jeu de rôle, dans le beau risque d’être soi pour que l’autre, tous les autres se re-trouvent eux-mêmes.

François, une invitation à exister par soi-même,  un missile souriant explosant les rôles à jouer. Un pouvoir qui pourrait déposséder les puissants. Pâques, passage, prémices, une béné-diction pour un autre leadership ?

 

Maxime Morand. Publié dans Bilan.

 

 

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